MONVELYNO - KOUZEN AZAKAMEDE | Une série culte qui enfante son premier-né : Kouzen Azakamede
L’album Kouzen Azakamede qui inaugure la série culte « Kòd ak Po » (1) du jeune musicien Monvelyno Alexis revisite notre répertoire de musiques traditionnelles ou sacrées avec une approche novatrice qui mérite toute notre attention. Ayant composé et arrangé huit titres sur l’album, il s’annonce comme un acteur incontournable sur un territoire plutôt réservé à un noyau de musiciens talentueux
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En effet, perçu par beaucoup de musiciens comme un genre plutôt expérimental, le Jazz Vaudou interpelle une minorité d’amateurs et requiert des musiciens une trituration assez particulière pour y exceller. Ce genre occupe à peu près la même place dans l’expérience musicale haïtienne que la musique avant-gardiste dans le Jazz américain. Elle se situe dans la lignée de la tâche combien difficile de créer une musique qui puiserait son essence de notre héritage musical africain. Des œuvres antérieures de groupes musicaux et de musiciens tels que Gifrants, Markus Schwartz, Thurgot Théodat, pour ne citer que ceux-là, ont déjà exploré ces frontières. Mais l’idée de cette série est encore plus audacieuse et semble pousser l’enveloppe musicale vers un langage, une couleur encore plus vaudouesque. Une démarche qui rejoint les nobles idéaux d’un Foula (2), ou encore, les célébrations Rara d’un Ayizan (3), les couleurs « vaudou »Jazz d’un Kilti Chòk (4) et enfin les nuances polyrythmiques du célèbre groupe New-yorkais Mozayik (5).
Kouzen Azakamede intègre également les structures du Jazz d’une manière plus naturelle, plus inattendue. Il en résulte une musique ouverte, spontanée, avec une distribution surprenante des éléments rythmiques. Six rythmes de base et leurs variantes constituent l’épine dorsale de cette œuvre avec une prédilection pour les rythmes nago et mayi qui sont revisités avec une remarquable redistribution de leurs composantes. On y retrouve aussi d’autres rythmes tels que le petwo, le kongo et même de l’ibo associé à du soukous. Même les ballades sont issues d’une réduction du tempo de ces rythmes. Notons aussi l’utilisation presque exclusive d’une variété de tambours haïtiens. La guitare de Monvelyno entre dans les couloirs des péristyles, flirte avec les mélodies sacrées et absorbe l’inextricable trilogie des tambours pour en extirper l’essentiel. Le musicien crée des pièces d’une rare beauté avec l’approche originale d’un métissage réussi entre la musique contemporaine (le world, le jazz, le blues) et les rythmes complexes de notre terroir. Il dessine certainement les contours du genre. A l’instar de Badji (2006), l’unique album de son copain Théodat, mais dans un registre moins jazz, ses cordes se font l’écho des tambours pour célébrer la culture des lakous, lieux sacrés des pèlerinages et escapades religieux ; temples qui détiennent les secrets de ce langage unique de notre expression musicale. En témoignent, les titres comme Mwen Anvi qui nous entraîne dans une marche nago pour célébrer l’amour (très inattendu) ou encore le kongo cassé du titre éponyme Kouzen Azakamede. Nous laissons aux mélomanes le soin de découvrir ces petites merveilles.
Nous avons toujours souligné l’importance d’un travail continu sur nos différents rythmes pour atteindre un langage musical original. Les frontières des possibilités harmoniques ont déjà été explorées, particulièrement dans le jazz, alors que la richesse des rythmes de notre terroir est infinie. Cet album renforce notre position sur ce point puisqu’il concrétise notre vision d’une musique haïtienne « originale ». KariJazz présente ce projet comme un coup de cœur et encourage les visiteurs du site (et les mélomanes en général) à acquérir ce premier album qui, pour un coup d’essai est une superbe réussite.
Ayibobo Kouzen!
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Alphonse Piard, Jr.
Jeudi 9 septembre 2010
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(1) En traduction littérale « Cordes et Peaux »
(2) L'ancêtre de ce groupe dénommé « Cà » inventa le concept « Vaudou Jazz », tel que nous le connaissons aujourd'hui, à la fin des années 70. Notons l'usage abusif du mot jazz car la musique prônait plutôt un retour aux sources avec une musique polyrythmique plutôt brute. L'élément improvisation était plutôt timide. Notons aussi que le chanteur Joe Archer désigna sa musique en ces termes.
(3) Le groupe Ayizan vu le jour au début des années 80 sous la direction de Tit Pascal. L'unique disque du groupe « Dilijans » présenta le concept révolutionnaire d'une fusion du Jazz et de la musique rara avec l'improvisation individuelle comme l'élément central de la musique
(4) Ce quintet (1999) représente une référence dans le domaine. Tout y est : couleurs, mélodies, improvisation. C'est la première réussite en termes de « vaudou jazz »
(5) Mozayik (2000) fut le premier groupe à réussir une fusion des structures du jazz et des rythmes vaudou avec l'improvisation individuelle au centre de la musique.